Vu sur ZDNET.fr - Jeudi 04 Juillet 2013
Doug Engelbart, inventeur de la souris, est décédé à 88 ans. Loué pour ses apports objectivement nombreux à l'informatique, l'inventeur de la souris a toujours entretenu une relation complexe à la Silicon Valley.
Le site de démonstration de la souris par Douglas Engelbart, loué à raison comme l'un des personnages importants de l'informatique personnelle, aura probablement plus de visites en quelques jours qu'au cours des dernières années. Les vidéos présentées par l'université de Stanford montrent l'ingénieur en 1968, utilisant pour la première fois en public son invention couplée à un système d'exploitation à interface graphique.
Plus de 40 ans plus tard, on ne pourra que s'étonner une nouvelle fois de la longueur de la démonstration (la vidéo complète est en bas de page sur le site de l'université) : 100 minutes pour montrer un objet aussi banal, voire dépassé, que la souris. Mais replacé dans le contexte de l'époque, on comprend l'intérêt documentaire de la vidéo.
La légende de la souris dormante
Développée à partir de 1963, la souris consistait à ses débuts en une coque en bois et deux roues de métal, permettant d'indiquer un déplacement latéral ou d'avant en arrière. Notons que la boule, longuement utilisée après ce premier prototype à deux roues et jusqu'à l'arrivée des souris à pointeur optique, a été inventée indépendamment et plusieurs années avant par trois chercheurs travaillant pour le gouvernement canadien. Cette boule a été utilisée dans la première souris commercialisée au monde, par l'entreprise allemande Telefunken, quelques semaines avant la démonstration d'Engelbart. Cela n'empêche cependant pas Engelbart d'être considéré comme l'inventeur de la souris, notamment grâce à son travail sur le positionnement du pointeur basé sur les abscisses et les ordonnées, et à sa démonstration de 1968 d'être baptisée "la mère de toutes les démos".
Malgré l'innovation claire que représente aujourd'hui la souris, elle n'a été utilisée que tardivement à l'époque. Le premier ordinateur à l'intégrer par défaut est le Xerox Alto, qui combinait souris et clavier en périphériques d'entrée... à sa commercialisation en 1973. Cela faisait donc dix ans qu'Engelbart avait débuté son travail sur la souris. Et encore le périphérique n'a-t-il commencé à sortir de l'ombre que dans les années 1980, avec le Xerox 8010 Star Information System puis le Macintosh 128K et sa Lina Mouse. Enfin la reconnaissance pour l'invention d'Engelbart ?
Pas sûr, car le chercheur n'a jamais détenu les droits sur les brevets de la souris. C'est le Stanford Research Institute, aujourd'hui SRI International, qui en détenait la propriété intellectuelle. Pas de royalties, donc... Et il n'y en aurait pas eu. Car dans tous les cas, le brevet était expiré en 1987, une date à laquelle l'utilisation de la souris n'était pas encore massive. D'où la légende d'une révolution qui aurait dormi dans les cartons du Xerox PARC durant de nombreuses années avant de bouleverser l'informatique, à un point qu'on ne peut apprécier qu'aujourd'hui, avec le recul.
Cette anecdote illustre bien le rapport ambigu d'Engelbart avec la Silicon Valley. S'il est l'un des premiers à avoir fait une démonstration géante et enregistrée par des caméras à San Francisco - un exercice désormais pratiqué par toutes les plus grandes sociétés informatiques - il n'a pas toujours eu la reconnaissance de ses pairs.
Né en 1925, Doug Engelbart a étudié l'ingénierie électrique à l'université d'Etat de l'Oregon, aux Etats-Unis. Technicien en communications pendant la Seconde guerre mondiale puis technicien en électricité à la Naca (l'ancêtre de la Nasa), il finira bientôt par retourner sur les bancs de l'université, à Berkeley (Californie), pour y passer diplôme d'ingénieur et doctorat. Ce n'est qu'après 1955 qu'il intégrera, doctorat en poche, le laboratoire de recherche de Stanford. Son laboratoire sera à l'origine d'un bon nombre de technologies, dont certaines intégrées à "la mère de toutes les démos" en 1968 : le bureau virtuel, la visioconférence, le courrier électronique ou encore les liens hypertextes.
L'oubli progressif
Suite à des dissensions dans son laboratoire, il tombera un peu dans l'oubli en 1976. Notre confrère Tom Foremski, sur ZDNet.com, explique bien la vie publique assez troublée d'Engelbar : "Malgré toutes les accolades et témoignages de son génie, la Silicon Valley a largement ignoré son travail et il a passé des années à tenter de financer ses idées, et même à se faire entendre par quelqu'un."
Ingratitude de la Silicon Valley ? "J'ai parfois l'impression que mon travail dans les 20 dernières années a été un échec," confessait en 2005 Doug Engelbart à l'auteur du blog. "Je n'ai pas été capable de trouver des financements et d'engager le dialogue avec qui que ce soit."
Conséquence directe : l'informatique aurait passé des décennies à réinventer ce qui avait déjà été démontré en 1968, jugeait alors le chercheur. "Nous avions des postes de travail personnels qui envoyaient des messages sur un réseau, nous pouvions partager un écran à distance, nous avions l'email, nous avions les feuilles de calcul, les éditeurs de texte, les applications."
Mais ses demandes d'investissement, au SRI, resteront toutes lettres mortes, le menant à démissionner en 1986. Il créera en 1988 le Doug Engelbart Institute, animant des séminaires jusque dans les années 2000.
Pour lui, la révolution informatique est restée incomplète. La Silicon Valley passera sans doute rapidement à autre chose, au prochain hommage donné au prochain pionnier décédé, juge avec une pointe d'amertume Tom Foremski. Il reste de lui l'histoire de la souris, de l'informatique personnelle, un prix de l'Electronic Frontier Foundation en 1992 et un prix Turing en 1997.
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