Vu sur le MagIT, le 07 octobre 2011 (14:06) - par Christophe Bardy
Le français Crocus et IBM nouent un accord sur les technologies MRAM
Crocus Technology a annoncé un accord d'échange de propriété intellectuelle et de partenariat avec Big Blue afin de développer des modules de mémoire MRAM de nouvelle génération basée sur sa technologie MLU. L'occasion pour LeMagIT de revenir sur cette société française fondée à Grenoble, sur cette technologie de mémoire innovante et sur le marché émergent de la MRAM.
Crocus Technology, une société née à Grenoble des efforts du CEA autour des technologies de « spintronique » - ou électronique de Spin » vient d’annoncer un partenariat avec IBM portant sur un échange de propriété intellectuelle autour des technologies MRAM (Magnetic Random Access Memories ou mémoires magnétiques à accès aléatoire).
Crocus Technology est issu d’un essaimage du Spintec, un laboratoire commun INPG/CNRS et CEA/LETI, à Grenoble et a reçu des financements initiaux de fonds publics comme CEA Valorisation (CEA) et FIST (CNRS). En 2006, la firme a levé 13,5 M€ additionnels auprès des fonds privés comme Sofinnova Ventures, Ventech, CDC Entreprises Innovation, AGF Private Equity, Sofinnova Partners et NanoDimension. En mai 2010 elle a levé 8 M€ additionnels auprès de ces actionnaires et a nommé à sa tête Bertrand Cambou, ex-CEO de Spansion (la co-entreprise dans la mémoire Flash d'AMD et Fujitsu), ex-COO de Gemplus et ex-CTO de la branche micro-électronique de Motorola (avant que ce dernier ne s'en sépare pour donner naissance à FreeScale).
Un accord avec le consortium russe d'investissement dans les nanotechnologies
L’industrialisation des technologies de la firme est passée à la vitesse supérieure en mai 2011 avec l’annonce par Crocus d’un accord avec Rusnano, la structure dont l’objectif est de développer les activités russes dans les nanotechnologies. Rusnano est dirigée par Anatoly Chubais – l’homme qui a piloté le gigantesque programme de privatisations russe tout au long des années quatre-vingt-dix sous l’ère de Boris Eltsine et dont le « clan » est soupçonné d’avoir participé à de multiples faits de corruption et de détournements de fonds, dont celui d’un paquet d’aide de 4 Md$ alloué par le FMI.
L’alliance avec Rusnano a donné naissance à une co-entreprise baptisée Crocus Nano Electronics, qui opérera une « Fab » capable de produire des modules MRAM gravés en 90 nm et 65 nm. L’investissement initial de Rusnano porte sur 125 M€€, une somme à laquelle vont s’ajouter 55 M$$ provenant des actionnaires existants. Une seconde phase de 120 M$ d’investissements viendra ensuite accroître les capacités de production de Crocus Nano Electronics. Au total Rusnano a engagé plus de 3,2Md$ d’investissements dans les nanotechnologies aux côtés d’actionnaires privés sur plus d’une centaine de projets.
MRAM, mémoire du futur ?
Les mémoires MRAM sont le produit d'une découverte d'IBM au début des années quatre-vingt-dix et elles sont considérées comme une des pistes d’avenir pour l’évolution des mémoires RAM. Contrairement aux actuelles mémoires DRAM ou SRAM, les MRAM sont non volatiles (comme les mémoires Flash, elles conservent leurs données même lorsqu'elles ne sont pas alimentées) et elles sont aussi insensibles aux rayonnements ionisants. Elles affichent aussi des performances très élevées, proches de celles des mémoires SRAM, utilisées notamment comme cache pour les processeurs. Bref elles sont un peu le nirvana de la mémoire en combinant performance, rémanence et très faible consommation et ont donc des applications dans tous les domaines où ces caractéristiques sont nécessaires comme les terminaux nomades, les systèmes de stockage (notamment pour le cache - Tochiba envisage par exemple d'utiliser de la MRAM pour le cache de futurs disques durs), les équipements réseaux...
Ces mémoires d'un nouveau genre s’appuient notamment sur les découvertes effectuées dans le domaine de l’électronique de Spin, des découvertes qui ont valu au Français Albert Fert et à l'Allemand Peter Grünberg, un Prix Nobel de Physique pour leurs travaux sur la magnétorésistance géante (une technologie qui a notamment contribué à l’accroissement exponentiel des capacités des disques durs depuis la fin des années quatre-vingt-dix). Récemment le domaine des MRAM a connu une forte activité avec le rachat par Crocus des brevets de NXP, l’acquisition par Samsung de Grandis, mais aussi avec l’annonce par Hynix et Toshiba de la mise en commun de leurs efforts dans le domaine des MRAM.
Dans la pratique, les MRAM modernes intègrent des composants CMOS avec des jonctions tunnel magnétiques (MTJ ou Magnetic Tunnel Junction) pour la partie logique. Ce type de composants fait l’objet de recherches actives chez IBM et Crocus, mais aussi dans des sociétés comme Spin Transfer Technologies ou Everspin, un spin off de Freescale (qui depuis 2006 est la seule à produire des modules MRAM à l’échelle industrielle). Un des clients d’Everspin est d’ailleurs Airbus qui utilisera les modules MRAM de la firme dans ses équipements de contrôle de vol en remplacement des traditionnelles mémoires SRAM et Flash.
Allier le savoir-faire de Crocus avec les technologies IBM
L’annonce par IBM et de Crocus de leur collaboration est une preuve de plus que la technologie est en passe de connaître un décollage. Les deux firmes entendent combiner la technologie MLU (MagneticLogicUnit) de Crocus avec le savoir-faire d’IBM en matière de MRAM afin de donner naissance à des modules MRAM à très faible consommation offrant les propriétés logiques uniques des modules Crocus, à savoir la capacité de fonctionner en mode NOR, XOR mais aussi, et c’est sans doute le plus intéressant, en mode NAND. Une nouveauté qui pourrait permettre aux modules Crocus de concurrencer la mémoire Flash NAND dans certaines applications. Le mode XOR est aussi séduisant car il permet d’utiliser la MRAM Crocus dans des applications où il est essentiel que les données inscrites sur la mémoire ne puissent être modifiées (éléments de sécurité des puces SIM, des cartes NFC ou des modules TPM des ordinateurs). Enfin, le mode NOR permet d’utiliser les modules mémoires comme des mémoires traditionnelles à accès aléatoire. Notons qu’en s’alliant avec IBM, Crocus devrait sans doute aligner ses technologies de fabrication en Russie sur les technologies et processus de production de Big Blue.
Terminons en notant que la nouvelle Fab de Crocus devrait entrer en production en 2013 et sera capable de produire 500 tranches de 300 mm par semaine, ce qui est à la fois beaucoup pour une technologie émergente, mais reste modeste au regard des capacités de l’industrie. À titre de comparaison, les multiples unités de la Fab de GlobalFoundries à Dresde sont capables de produire 20 000 tranches par semaine et le site d’IBM à East FishKill a une capacité de l’ordre de 4 000 tranches par semaine. Au total, près de 1 million de tranches de 300 mm sont mises en production dans l’ensemble des fabs de la planète.
Le français Crocus et IBM nouent un accord sur les technologies MRAM
Crocus Technology a annoncé un accord d'échange de propriété intellectuelle et de partenariat avec Big Blue afin de développer des modules de mémoire MRAM de nouvelle génération basée sur sa technologie MLU. L'occasion pour LeMagIT de revenir sur cette société française fondée à Grenoble, sur cette technologie de mémoire innovante et sur le marché émergent de la MRAM.
Crocus Technology, une société née à Grenoble des efforts du CEA autour des technologies de « spintronique » - ou électronique de Spin » vient d’annoncer un partenariat avec IBM portant sur un échange de propriété intellectuelle autour des technologies MRAM (Magnetic Random Access Memories ou mémoires magnétiques à accès aléatoire).
Crocus Technology est issu d’un essaimage du Spintec, un laboratoire commun INPG/CNRS et CEA/LETI, à Grenoble et a reçu des financements initiaux de fonds publics comme CEA Valorisation (CEA) et FIST (CNRS). En 2006, la firme a levé 13,5 M€ additionnels auprès des fonds privés comme Sofinnova Ventures, Ventech, CDC Entreprises Innovation, AGF Private Equity, Sofinnova Partners et NanoDimension. En mai 2010 elle a levé 8 M€ additionnels auprès de ces actionnaires et a nommé à sa tête Bertrand Cambou, ex-CEO de Spansion (la co-entreprise dans la mémoire Flash d'AMD et Fujitsu), ex-COO de Gemplus et ex-CTO de la branche micro-électronique de Motorola (avant que ce dernier ne s'en sépare pour donner naissance à FreeScale).
Un accord avec le consortium russe d'investissement dans les nanotechnologies
L’industrialisation des technologies de la firme est passée à la vitesse supérieure en mai 2011 avec l’annonce par Crocus d’un accord avec Rusnano, la structure dont l’objectif est de développer les activités russes dans les nanotechnologies. Rusnano est dirigée par Anatoly Chubais – l’homme qui a piloté le gigantesque programme de privatisations russe tout au long des années quatre-vingt-dix sous l’ère de Boris Eltsine et dont le « clan » est soupçonné d’avoir participé à de multiples faits de corruption et de détournements de fonds, dont celui d’un paquet d’aide de 4 Md$ alloué par le FMI.
L’alliance avec Rusnano a donné naissance à une co-entreprise baptisée Crocus Nano Electronics, qui opérera une « Fab » capable de produire des modules MRAM gravés en 90 nm et 65 nm. L’investissement initial de Rusnano porte sur 125 M€€, une somme à laquelle vont s’ajouter 55 M$$ provenant des actionnaires existants. Une seconde phase de 120 M$ d’investissements viendra ensuite accroître les capacités de production de Crocus Nano Electronics. Au total Rusnano a engagé plus de 3,2Md$ d’investissements dans les nanotechnologies aux côtés d’actionnaires privés sur plus d’une centaine de projets.
MRAM, mémoire du futur ?
Les mémoires MRAM sont le produit d'une découverte d'IBM au début des années quatre-vingt-dix et elles sont considérées comme une des pistes d’avenir pour l’évolution des mémoires RAM. Contrairement aux actuelles mémoires DRAM ou SRAM, les MRAM sont non volatiles (comme les mémoires Flash, elles conservent leurs données même lorsqu'elles ne sont pas alimentées) et elles sont aussi insensibles aux rayonnements ionisants. Elles affichent aussi des performances très élevées, proches de celles des mémoires SRAM, utilisées notamment comme cache pour les processeurs. Bref elles sont un peu le nirvana de la mémoire en combinant performance, rémanence et très faible consommation et ont donc des applications dans tous les domaines où ces caractéristiques sont nécessaires comme les terminaux nomades, les systèmes de stockage (notamment pour le cache - Tochiba envisage par exemple d'utiliser de la MRAM pour le cache de futurs disques durs), les équipements réseaux...
Ces mémoires d'un nouveau genre s’appuient notamment sur les découvertes effectuées dans le domaine de l’électronique de Spin, des découvertes qui ont valu au Français Albert Fert et à l'Allemand Peter Grünberg, un Prix Nobel de Physique pour leurs travaux sur la magnétorésistance géante (une technologie qui a notamment contribué à l’accroissement exponentiel des capacités des disques durs depuis la fin des années quatre-vingt-dix). Récemment le domaine des MRAM a connu une forte activité avec le rachat par Crocus des brevets de NXP, l’acquisition par Samsung de Grandis, mais aussi avec l’annonce par Hynix et Toshiba de la mise en commun de leurs efforts dans le domaine des MRAM.
Dans la pratique, les MRAM modernes intègrent des composants CMOS avec des jonctions tunnel magnétiques (MTJ ou Magnetic Tunnel Junction) pour la partie logique. Ce type de composants fait l’objet de recherches actives chez IBM et Crocus, mais aussi dans des sociétés comme Spin Transfer Technologies ou Everspin, un spin off de Freescale (qui depuis 2006 est la seule à produire des modules MRAM à l’échelle industrielle). Un des clients d’Everspin est d’ailleurs Airbus qui utilisera les modules MRAM de la firme dans ses équipements de contrôle de vol en remplacement des traditionnelles mémoires SRAM et Flash.
Allier le savoir-faire de Crocus avec les technologies IBM
L’annonce par IBM et de Crocus de leur collaboration est une preuve de plus que la technologie est en passe de connaître un décollage. Les deux firmes entendent combiner la technologie MLU (MagneticLogicUnit) de Crocus avec le savoir-faire d’IBM en matière de MRAM afin de donner naissance à des modules MRAM à très faible consommation offrant les propriétés logiques uniques des modules Crocus, à savoir la capacité de fonctionner en mode NOR, XOR mais aussi, et c’est sans doute le plus intéressant, en mode NAND. Une nouveauté qui pourrait permettre aux modules Crocus de concurrencer la mémoire Flash NAND dans certaines applications. Le mode XOR est aussi séduisant car il permet d’utiliser la MRAM Crocus dans des applications où il est essentiel que les données inscrites sur la mémoire ne puissent être modifiées (éléments de sécurité des puces SIM, des cartes NFC ou des modules TPM des ordinateurs). Enfin, le mode NOR permet d’utiliser les modules mémoires comme des mémoires traditionnelles à accès aléatoire. Notons qu’en s’alliant avec IBM, Crocus devrait sans doute aligner ses technologies de fabrication en Russie sur les technologies et processus de production de Big Blue.
Terminons en notant que la nouvelle Fab de Crocus devrait entrer en production en 2013 et sera capable de produire 500 tranches de 300 mm par semaine, ce qui est à la fois beaucoup pour une technologie émergente, mais reste modeste au regard des capacités de l’industrie. À titre de comparaison, les multiples unités de la Fab de GlobalFoundries à Dresde sont capables de produire 20 000 tranches par semaine et le site d’IBM à East FishKill a une capacité de l’ordre de 4 000 tranches par semaine. Au total, près de 1 million de tranches de 300 mm sont mises en production dans l’ensemble des fabs de la planète.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire