Vu sur 01net par Guillaume Deleurence le 20/06/11 à 16h29 : Un projet de décret pour le blocage de contenus Web très critiqué
Le nouveau Conseil national du numérique tance vertement, dans un avis, un projet de décret qui autoriserait l'administration à bloquer et à filtrer des sites, sans aval judiciaire. Explications.
Il y a quelques jours, PC Inpact révélait un projet de décret d'application de l'article 18 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004. Le texte, qui concerne le commerce électronique, prévoit que l'autorité administrative puisse, dans certains cas (grave atteinte au maintien de l'ordre, à la protection des mineurs, à la santé publique, etc.) prendre des mesures « restreignant, au cas par cas, le libre exercice » de l'activité d'un grand nombre d'acteurs (voir la liste fournie par l'article 14).
Selon nos confrères, le décret donne à plusieurs ministères ainsi qu'à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) le pouvoir d'ordonner à l'éditeur du site, à son hébergeur et, si besoin, aux fournisseurs d'accès à Internet de faire cesser le trouble. Il s'agit donc de permettre à l'autorité administrative de bloquer ou de filtrer un site sans passer par un juge.
Le 12 juin 2011, le tout nouveau Conseil national du numérique (CNN) a été saisi pour avis par Eric Besson, ministre chargé de l'Economie numérique. Cet avis, très critique, est publié aujourd'hui par PC Inpact.
Un décret jugé trop vague
Le CNN, qui regrette le peu de temps dont il a disposé pour examiner le texte (il devait rendre son avis le 17 juin), formule plusieurs demandes, qui soulignent, en creux, les défauts de ce décret. Le Conseil demande d'abord que le décret soit notifié à la Commission européenne, comme l'impose une directive de l'Union pour les sujets ayant trait à Internet.
Autre recommandation, en forme de pique : que le gouvernement clarifie le champ d'application du décret, jugé trop vague. Par exemple, il prévoit que les autorités puissent mettre « en demeure les éditeurs de site de faire cesser ou de prévenir cette atteinte [au maintien de l'ordre] dans un délai qu’elle fixe ». Or, quel est cet « éditeur de site » qui ne fait l'objet d'aucune définition législative ni réglementaire ? L'article 18 englobe en effet des acteurs aussi divers que les sites de commerce électronique, les moteurs de recherche, les comparateurs de prix, les sites d'information, etc.
Le CNN demande donc « que les mesures prévues ne visent que l’auteur du contenu et en aucun cas, en leur qualité d’acteurs du commerce électronique, les intermédiaires susceptibles d’avoir indexé ou référencé ledit contenu ». Il insiste par ailleurs sur le principe de subsidiarité et demande que l'administration ne puisse envoyer, sous prétexte d'urgence, des injonctions aux hébergeurs ou aux FAI, par exemple, sans avoir d'abord cherché à intervenir auprès de l'auteur du contenu.
« Surenchère autour du blocage »
Plus grave, le CNN estime que le décret n'est pas conforme au droit, en ce qui concerne les injonctions auprès des hébergeurs et des fournisseurs d'accès à Internet. Il fustige la partie du texte qui permet à l'administration d'adresser directement des injonctions aux FAI, sans recours préalable à un juge. Sur ce point, le CNN recommande au gouvernement de revoir sa copie.
Le Conseil parle même de « surenchère autour du blocage », sachant que la « France dispose d’ores et déjà de nombreuses dispositions permettant d’ordonner un blocage de l’accès [à un site] » par voie judiciaire. Il argue que « l’autorité publique ne peut être en mesure d’obtenir le blocage d’un contenu sur Internet que par voie judiciaire » et après débat contradictoire. Et pour le CNN, si un tel blocage sans contrôle prélable d'un juge devait voir le jour, il devrait être institué par voie législative et non par décret.
Reste à savoir désormais ce que le gouvernement retiendra de ces quatorze pages sans concession. Vu les points soulevés, on imagine mal que le décret reste en l'état, au risque de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel. Le CNN souligne en effet, dans son avis, que le pouvoir de blocage confié à plusieurs autorités, ainsi que la trop large liste des contenus, se révéleraient incompatibles « avec la jurisprudence de l'institution »... En mars 2011, le Conseil avait certes validé les dispositions de la Loppsi 2 sur le filtrage de sites pédopornographiques sans aval judiciaire. Mais il avait jugé qu'elles étaient offraient un bon équilibre « entre la sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication », d'autant que ce filtrage peut être contesté devant la justice.
« Une dérive inquiétante », selon la Quadrature du Net
La révélation de ce projet de décret avait aussi fait violemment réagir la Quadrature du Net. Dans un communiqué, celle-ci évoque un texte qui « vise à donner au gouvernement un pouvoir de censure sur tous les sites et contenus du Net qui serait totalement disproportionné. Il s'agit là d'une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs, portant gravement atteinte à la liberté de communication en ligne. C'est une dérive extrêmement inquiétante, dans la droite ligne des politiques sécuritaires du gouvernement en matière d'Internet, Ce projet de décret doit à tout prix être rejeté. »
Le nouveau Conseil national du numérique tance vertement, dans un avis, un projet de décret qui autoriserait l'administration à bloquer et à filtrer des sites, sans aval judiciaire. Explications.
Il y a quelques jours, PC Inpact révélait un projet de décret d'application de l'article 18 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004. Le texte, qui concerne le commerce électronique, prévoit que l'autorité administrative puisse, dans certains cas (grave atteinte au maintien de l'ordre, à la protection des mineurs, à la santé publique, etc.) prendre des mesures « restreignant, au cas par cas, le libre exercice » de l'activité d'un grand nombre d'acteurs (voir la liste fournie par l'article 14).
Selon nos confrères, le décret donne à plusieurs ministères ainsi qu'à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) le pouvoir d'ordonner à l'éditeur du site, à son hébergeur et, si besoin, aux fournisseurs d'accès à Internet de faire cesser le trouble. Il s'agit donc de permettre à l'autorité administrative de bloquer ou de filtrer un site sans passer par un juge.
Le 12 juin 2011, le tout nouveau Conseil national du numérique (CNN) a été saisi pour avis par Eric Besson, ministre chargé de l'Economie numérique. Cet avis, très critique, est publié aujourd'hui par PC Inpact.
Un décret jugé trop vague
Le CNN, qui regrette le peu de temps dont il a disposé pour examiner le texte (il devait rendre son avis le 17 juin), formule plusieurs demandes, qui soulignent, en creux, les défauts de ce décret. Le Conseil demande d'abord que le décret soit notifié à la Commission européenne, comme l'impose une directive de l'Union pour les sujets ayant trait à Internet.
Autre recommandation, en forme de pique : que le gouvernement clarifie le champ d'application du décret, jugé trop vague. Par exemple, il prévoit que les autorités puissent mettre « en demeure les éditeurs de site de faire cesser ou de prévenir cette atteinte [au maintien de l'ordre] dans un délai qu’elle fixe ». Or, quel est cet « éditeur de site » qui ne fait l'objet d'aucune définition législative ni réglementaire ? L'article 18 englobe en effet des acteurs aussi divers que les sites de commerce électronique, les moteurs de recherche, les comparateurs de prix, les sites d'information, etc.
Le CNN demande donc « que les mesures prévues ne visent que l’auteur du contenu et en aucun cas, en leur qualité d’acteurs du commerce électronique, les intermédiaires susceptibles d’avoir indexé ou référencé ledit contenu ». Il insiste par ailleurs sur le principe de subsidiarité et demande que l'administration ne puisse envoyer, sous prétexte d'urgence, des injonctions aux hébergeurs ou aux FAI, par exemple, sans avoir d'abord cherché à intervenir auprès de l'auteur du contenu.
« Surenchère autour du blocage »
Plus grave, le CNN estime que le décret n'est pas conforme au droit, en ce qui concerne les injonctions auprès des hébergeurs et des fournisseurs d'accès à Internet. Il fustige la partie du texte qui permet à l'administration d'adresser directement des injonctions aux FAI, sans recours préalable à un juge. Sur ce point, le CNN recommande au gouvernement de revoir sa copie.
Le Conseil parle même de « surenchère autour du blocage », sachant que la « France dispose d’ores et déjà de nombreuses dispositions permettant d’ordonner un blocage de l’accès [à un site] » par voie judiciaire. Il argue que « l’autorité publique ne peut être en mesure d’obtenir le blocage d’un contenu sur Internet que par voie judiciaire » et après débat contradictoire. Et pour le CNN, si un tel blocage sans contrôle prélable d'un juge devait voir le jour, il devrait être institué par voie législative et non par décret.
Reste à savoir désormais ce que le gouvernement retiendra de ces quatorze pages sans concession. Vu les points soulevés, on imagine mal que le décret reste en l'état, au risque de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel. Le CNN souligne en effet, dans son avis, que le pouvoir de blocage confié à plusieurs autorités, ainsi que la trop large liste des contenus, se révéleraient incompatibles « avec la jurisprudence de l'institution »... En mars 2011, le Conseil avait certes validé les dispositions de la Loppsi 2 sur le filtrage de sites pédopornographiques sans aval judiciaire. Mais il avait jugé qu'elles étaient offraient un bon équilibre « entre la sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication », d'autant que ce filtrage peut être contesté devant la justice.
« Une dérive inquiétante », selon la Quadrature du Net
La révélation de ce projet de décret avait aussi fait violemment réagir la Quadrature du Net. Dans un communiqué, celle-ci évoque un texte qui « vise à donner au gouvernement un pouvoir de censure sur tous les sites et contenus du Net qui serait totalement disproportionné. Il s'agit là d'une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs, portant gravement atteinte à la liberté de communication en ligne. C'est une dérive extrêmement inquiétante, dans la droite ligne des politiques sécuritaires du gouvernement en matière d'Internet, Ce projet de décret doit à tout prix être rejeté. »
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